Je m'appelle Catherine Villanueva et je suis infirmière de formation.
Cela faisait 12 ans que je travaillais dans le même hôpital à Neuchâtel comme infirmière polyvalente. J'avais choisi cet hôpital de petite dimension (360 employés et environ 70 lits pour hospitalisés et une quarantaine de lits ambulatoires de chirurgie et de dialyse) parce qu'il avait encore une vision humaine et presque familiale de la prise en charge des patients, ce qui correspondait assez bien à ma vision de ce que devrait être les soins.
Cet hôpital reçoit de l'argent publique pour des missions publiques,mais fonctionne également sur le mode privé,puisque appartenant à une fondation catholique.
Le choix de vendre l'hôpital à une chaîne de cliniques privées, dont le seul but est de remplir les poches de ses actionnaires (au mépris de son personnel et en privilégiant une médecine à deux vitesses : excellence, confort et rapidité pour les riches qui peuvent payer et service minimum pour les autres) a ouvert les hostilités entre la direction et une partie du personnel, puisque une des conditions de rachat par le futur employeur était de dénoncer la CCT Santé 21 jugée trop restrictive et trop chère et donc les empêchait de faire autant de bénéfices qu'ils le souhaiteraient.
Après une forte mobilisation du personnel, au début, le conflit social s'embourba. La violence des moyens utilisés pour casser le mouvement de protestation des employés et donc la peur en résultant, nous ne nous sommes retrouvés qu'un très petit nombre de personnes assez déterminées et courageuses pour tenter de défendre nos droits et acquis sociaux et syndicaux en nous mettant en grève.
Malheureusement pour nous, nos adversaires étaient trop puissants, recrutant des soutiens et des alliés dans tous les secteurs: politique, économie, journalistes, justice, église catholique, etc, etc... et le conflit se termina après 71 jours de grève par notre déconfiture, nos licenciements brutaux et illégaux!
Depuis de nombreuse années, je suis une militante engagée pour défendre des causes et des valeurs qui me sont chères : écologique (contre le nucléaire) éthique (contre la peine de mort) politique (anticapitalisme et justice sociale) humaniste et égalitaire (féminisme et antiracisme).
Mais tout à coup, la situation a changé, l'implication personnelle s'est densifiée et les émotions en ont été démultipliées au fil de l'intensification de la lutte( peur, colère, enthousiasme, détermination...)
J'ai appris à être une personne curieuse, intéressée, qui s'implique pour améliorer la vie de tous et de chacun dans mon métier,mais également dans la cité et dans le monde dans lequel je vis, une personne qui réfléchit, analyse et garde une liberté dans ses choix et dans ses actes,même s'ils sont à contre-courant de l'opinion majoritaire.
Mais cette grève aura été un choc pour moi,une école de la violence que peuvent atteindre ceux qui se laissent dominer par la cupidité, la lâcheté, la couardise et qui unissent leurs forces pour s'enrichir toujours plus, pour prendre toujours plus le pouvoir sur les plus pauvres, les plus faibles, les plus fragiles, d'autant plus si ceux-ci, celles-ci se lèvent pour les affronter et tenter de les empêcher dans leurs desseins de domination.
La différence entre une lutte de travailleurs en général et une lutte de femmes est dans le regard de leurs adversaires respectifs. Dans un monde machiste et patriarcal, il est difficilement concevable et acceptable pour les hommes, et en particulier les hommes de pouvoir, que des femmes supposées soumises et silencieuses remettent en cause leurs discours dominant et leurs décisions injustes. On sent leur mépris et leur incrédulité face à notre intelligence, a notre courage et à notre détermination.
Au début, je n'ai pas vu le côté féministe de notre combat, plutôt un engagement humain concernant une lutte de justice sociale, bien que la présence masculine ait été faible et défaillante parmi nous. Mais, avec le recul, je me rends compte que les attaques du capitalisme se font avec d'autant plus de violence contre les milieux précaires ( vente, santé..) généralement socialement imposés aux femmes.
Est-ce par une croyance en un atavisme de soumission typiquement féminin qui s'est avéré partiellement vrai, d'ailleurs? Mais, ce que nos adversaires ne soupçonnait pas, c'est que les femmes, une fois engagées dans le combat,se révèlent plus fortes, plus courageuses, plus déterminées, plus intelligentes et plus solidaires que ce qu'ils imaginaient, alors qu'ils pensaient nous faire facilement plier et céder sous leurs menaces et leurs pressions.
Le monde du travail dans le domaine de la santé a beaucoup évolué. L'infirmière, autrefois, était surtout considérée comme une exécutante soumise et obéissante aux ordres du médecin, corvéable à merci,ne réfléchissant pas trop ou même pas du tout, mais dévouée corps et âme, jour et nuit. En 2015, être infirmière est devenu une profession très pointue, qui demande réflexion, initiatives, connaissances théoriques, pratiques et humaines de grande qualité. Toutes ces compétences, nous avons cherché à les protéger et à les valoriser pour des conditions de travail décentes dans le cadre d'une CCT.
Mais dans un monde basculant à une vitesse supersonique vers un ultralibéralisme sauvage,le monde de la santé est également devenu un enjeu économique où s'entre déchirent les rapaces les plus cupides et ceci sur le dos des patients ( en tous cas ceux qui n'ont pas les moyens de se payer des assurances de luxe ) et sur le dos du personnel ( part essentielle des dépenses dans le fonctionnement d'une institution de soins ).
Pour ceux qui peuvent payer . luxe, traitement de choix, grands professeurs, rapidité de l'accès aux soins
Pour les autres : listes d'attente, encombrements dans les services démunis de moyens, personnel réduit en nombre et stressé, voire épuisé pr des conditions de travail indignes, avec des risques d'erreurs, des soins de moins bonne qualité, un manque de temps sidérant pour le relationnel, pourtant primordial dans une prise en charge de qualité et dans la potentialité de guérison ou dans un accompagnement indispensable pour la dignité de chacun.
La majorité du personnel soignant se rend bien compte de la dégradation des conditions de travail et de salaire et de la qualité des soins, mais une espèce d'abrutissement général, de sentiment d'impuissance, de fatalisme et même de lâcheté dominent et laissent faire le rouleau compresseur mis en route écrasant tous et tout sur son passage au nom de toujours plus de profits!
L'indifférence majoritaire à ces graves attaques citoyennes et syndicales m'a beaucoup fait souffrir. J'avais l'impression d'être une extraterrestre perdue dans un monde inconnu et hostile avec lequel je n'arrivais pas à communiquer.
Mais j'ai appris aussi à mieux me connaitre, mes forces, mes limites, à mettre en adéquation mes valeurs et mes actions, à faire le ménage dans mes relations personnelles et professionnelles, à faire entrer dans ma vie de très belles personnes que je n'aurais pas connues sinon, à augmenter ma détermination à lutter pour un monde plus solidaire,plus juste et plus égalitaire à être plus lucide et moins naïve, même si le prix à payer pour cela fût et est encore extrêmement coûteux.
Catherine Villanueva Vera