Echo de la mobilisation du 17 avril 2016, jour de la votation du Parlement
À propos d´un coup d´état patriarcal médiatique
Par Tica Moreno - Marche Mondiale des Femmes du Brésil
Ce processus de destitution est un coup d’État. De plus c’est un coup d’État patriarcal, et pas seulement parce que c’est une action d´un groupe d´hommes envers une femme. Le patriarcat est toujours plus complexe et dégoûtant et fonctionne de pair avec d’autres structures d´oppression.
Hier, lorsque les députés entamaient leur déclaration de vote par des formules comme “pour la (ma) famille”, on savait d’avance que leur vote serait un « oui » à ce qu´ils désignent comme une destitution, mais qui n´est qu’une partie du processus.
La famille qu´ils évoquent est celle qu´ils ont inscrite au statut de la famille et qui n´a aucun rapport avec la majorité des familles réelles. Ils parlent de familles composées d´un homme, d’une femme et d’enfants. Des familles hétéro-normatives qui transmettent leur héritage à travers les générations, qui emploient des femmes de ménage à leur service sans sécurité sociale, au noir. Des familles composées des personnes qui trouvent leur bonheur en tant qu’individus mais qui ne sont pas nécessairement heureux de revenir le soir à la même maison, la même cuisine et le même lit.
C´est au nom de cette famille et des femmes, qui tous les jours avec leur travail, leur énergie et leur affection assurent un espace propre où la convivialité est possible et où les gens peuvent se sentir de véritables humains dans ce monde qui les traitent comme des simples objets, que ces types qui hier ont voté « oui » hier ont bien d’autres fois voté pour la tertiarisation du travail, contre l´avortement ou contre notre autonomie. Ces types-là ne sont dans la sphère publique de la politique que parce que la logique patriarcale et capitaliste imprime une dynamique dichotomique qui sépare le public du privé, obligeant les femmes, lorsqu´elles se trouvent dans ce même espace public à jongler de tout côté afin d’assurer ce que ce modèle de la famille attend d’elles et leur impose comme tâche prioritaire (le travail domestique et de soins, lesquels finissent par être délégués à d’autres femmes). Les députés ? Eux ont des choses « plus importantes à faire », laissant à d’autres le soin gérer les questions ménagères, afin de pouvoir continuer à poursuivre leurs intérêts (et ceux de leurs investisseurs) dans ce congrès national vicieux. De plus, s´ils sont là, c´est parce que un candidat de leur parti a eu assez de votes pour leur y garantir une place. Maintenant, ils brûlent les 54 millions de votes que Dilma a reçu pour gouverner le pays.
Nous avons pu constater sans perplexité que ceux qui démarrent leur vote en citant la « famille » sont ceux qui, avec les conseillers et investisseurs, fréquentent le milieu de la prostitution à Brasilia. Parce que ça aussi c’est aussi une pratique patriarcale qui maintient un modèle oppresseur.
Par ailleurs, ils n´ont pas honte de voter “oui” en disant qu´ils sont contre la « dégénération » de la femme. Ce sont les mêmes qui offensent les députées qui ont une autre opinion politique. En les appelant comment ? Des « chiennes ». Il faut ici signaler que les députées Margarida, Luiziane et Jandira nous représentent.
La plupart des arguments avancés pour le “oui”, en plus de la famille, ne figuraient pas dans le rapport. Crime de responsabilité ? Des comptes maquillés ? Non, ils ont mentionné dieu, des anniversaires, des femmes députées ont aussi cité leur père, des églises x ou y, Israël (!!!) et n´importe quelle autre excuse qui n’avait rien à voir avec ce qui est dans le rapport qui a entrainé l’ouverture du procès de destitution.
En d´autres termes plus élaborés, l´immense majorité des votes « oui » pourrait se résumer ainsi: “pour tout ce qui permet que mes intérêts particuliers et ceux des gens qui me financent puissent se perpétuer, pour mes privilèges de race, de genre et de classe, pour mes profits et pour moins de droits, pour plus d´hypocrisie et moins de distribution des revenus ».
Vous êtes répugnants!
Dilma n´entre pas dans leur modèle de famille : elle ne correspond pas à l´image de la femme fragile et elle n´a pas de mari. Tous les jours et tout le temps elle est jugée, disqualifiée et agressée verbalement, tout simplement parce qu´elle est une femme. Les dépolitisés qui sont dans la politique du congrès portent une étrange pancarte qui dit “Au revoir, chérie”. C´est trop de misogynie d’un seul coup (d’État).
Mais ce n´est pas seulement parce qu´il s´agit d´une femme que Dilma est attaquée de tous côtés à chaque instant, mais parce qu´elle mène un projet politique qui, malgré ses contradictions, est une menace (même si ce n´est que symboliquement parfois) à tous les privilèges que les auteurs de ce coup au parlement, le pouvoir judiciaire et les grands médias défendent. Ce n´est pas un hasard qu´ils aient voté “oui” en disant “adieu Lula”, « adieu le PT » et qu’ils aient rendu hommage à des tortionnaires et à la police militaire la plus meurtrière du monde (et détruit des familles qui ne comptent pas pour le pouvoir).
Ils construisent le coup.
La démocratie que nous défendons aujourd´hui est celle que nous avons, pas encore celle qu´on aimerait et pour laquelle nous luttons tous les jours : une démocratie qui respecte l´autonomie, nos droits au travail et dans la vie, une vie à nous sans violence, du temps pour créer notre intimité et notre liberté dans les rues et les réseaux, notre santé et notre corps. Une démocratie où la justice ne soit pas sélective. Que la mémoire de tant d´autres qui sont morts en luttant comme les sans terre assassinés il y a 20 ans à Eldorado dos Carajás soit le combustible de la lutte pour des transformations. Où l´égalité soit vraie pour toutes et pas seulement un mot dans une charte que le pouvoir exécutif viole en passant par-dessus.
Hier, de notre côté, avec ceux qui ont toujours eu une position ferme, là au Vale do Anhangabaú, entre tristesse, colère, perplexité, dégoût et beaucoup de raisons, nous avons évoqué ensemble la lutte des femmes dans d´autres coins du monde qui tous les jours doivent faire face à la tyrannie des états anti-démocratiques qui violent leurs droits, leur corps, leur autonomie et leur auto-détermination.
“Wamama musi lale lale lale. Wamama musi lale. Bado mapanbano mapanbano mapanbano”. En Swahili :
“Femmes éveillées, la lutte vient à peine de commencer!”
En marche jusqu´à ce que nous soyons toutes libres !