DANIELLE OTHENIN-GIRARD

Agir au niveau cantonal pour mettre en œuvre la Convention d’Istanbul. Douze organisations neuchâteloises ont identifié et élaboré des propositions concrètes visant à améliorer la prise en charge des femmes migrantes victimes de violences sexuelles et sexistes, quel que soit leur statut, dans le canton de Neuchâtel. Cette coalition [1] a remis en décembre 2023 au Conseil d’État un rapport [2] faisant état des problématiques touchant en particulier l’accompagnement médico-social de ces femmes, tâche qui incombe au canton. Une démarche qui se veut complémentaire à la pétition Feminist Asylum déposée auprès du Parlement européen et des autorités fédérales, et qui visait à combler les lacunes de la loi. Elle pourrait inspirer d’autres cantons.

La Suisse a ratifié en 2017 la Convention d’Istanbul de lutte et de prévention des violences faites aux femmes. Celle-ci préconise la mise en place «de protections et de soins, quels que soient la nationalité et l’endroit où l’on se trouve». La Loi sur l’aide aux victimes (Lavi) ne reconnaissant que les infractions faites en Suisse, les femmes, filles et personnes lgbtiqa+ ayant subi des violences dans leur pays d’origine et sur le parcours d’exil sont exclues de ces mesures de réparation. La pétition Feminist Asylum, déposée en 2022, auprès du Parlement européen et des autorités fédérales [3] visait à corriger cette lacune.

Indépendamment du fait que la solution à bon nombre de problèmes serait grandement facilitée par une évolution des législations fédérales, la coalition souhaite inciter le canton de Neuchâtel à ne pas attendre ces processus. Toute une série de critères posés par la Convention concerne directement les modalités d’accueil, l’accompagnement médico-social, la formation professionnelle des intervenant·es. Soit des domaines de prestations qui relèvent principalement d’infrastructures cantonales. D’où la conviction de l’importance de mener une réflexion locale. Le groupe de travail s’est rapidement agrandi [4], permettant d’échanger sur les pratiques et expériences des différent·es acteurs et actrices, de dresser un état des lieux et une analyse des besoins. De devenir également un interlocuteur crédible auprès des autorités.

Parmi les demandes prioritaires

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Dessin réalisé pour la campagne Feminist Asylum

Sans surprise, la question du financement apparaît comme centrale. Le rapport mentionne plusieurs projets en cours d’élaboration, d’importance majeure, comme la création d’une Unité de médecine des violences au sein du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe). Des projets qui peinent à aboutir par manque d’appui financier. Une des requêtes prioritaires concerne donc la mise en place rapide de cette Unité et d’un accueil d’urgence. En complément, il est nécessaire de développer au sein du CNP (Centre psychiatrique neuchâtelois) des prestations spécialisées pour la santé psychique des personnes migrantes. Il est aussi demandé d’allouer des ressources supplémentaires au Service d’aide aux victimes (SAVI), ainsi qu’un soutien accru à la Maison de Santé, fondée par Médecins du Monde, extrêmement active auprès des personnes vivant une grande précarité. Cette structure déplore en particulier le manque de solutions en hébergements d’urgence, d’où l’appel au développement d’une meilleure capacité de prise en charge sociale, avec un pôle de coordination en intervention d’urgence.

Une demande pressante est de renforcer le réseau d’interprétariat et d’en faciliter l’accès, pierre angulaire pour toutes possibilités et efficacité de suivis.

Autre problème majeur : le peu de communication entre services. La coalition demande «la mise en place d’une coordination à l’interne de l’administration ainsi qu’entre services publics et privés pour orienter leurs efforts afin d’appliquer la Convention d’Istanbul».

Des propositions également pour le Centre fédéral de Boudry, certes géré par le Secrétariat d’État aux migrations, mais où le canton reste responsable sur le plan sanitaire. Les requérantes d’asile souffrant de graves traumatismes suite à des violences sexuelles subies durant leurs parcours d’exil doivent pouvoir trouver sur place des possibilités de soins adaptés et d’écoute, être informées quant à l’existence des centres de santé sexuelle comme lieux de ressources, et bénéficier d’une continuité dans les traitements. Une mise en place rapide de formation/ sensibilisation pour les employé·es du centre est indispensable.

D’ailleurs pour tous les secteurs d’intervention, les besoins en matière de formation interdisciplinaire sont réels.

 

Rencontre avec la Conseillère d’État

Le 7 décembre 2023, Mme Florence Nater, en charge des questions de migration, a reçu une importante délégation de la Coalition. Elle a annoncé la réalisation prochaine de l’Unité de médecine des violences, s’est engagée à développer davantage de synergies et d’instaurer rapidement une meilleure communication entre les services. Quant aux programmes de formation et de sensibilisation, elle assure que le canton y travaille déjà, mais qu’il lui incombe de poursuivre la réflexion et l’effort d’amélioration. Ouverte au dialogue et aux propositions concrètes, elle a rappelé sa marge d’action au plan légal et financier. Forte de ce travail collectif, la Coalition est plus que jamais motivée à poursuivre son travail de terrain et de dialogue avec les autorités pour avancer, pas à pas, vers une meilleure mise à l’abri des femmes victimes.

 


 

 

1 Coalition neuchâteloise pour l’accueil, la prise en charge et l’accompagnement des femmes migrantes victimes de violences sexistes et sexuelles

2 Le Rapport sur l’accueil, la prise en charge et l’accompagnement des femmes migrantes victimes de violences sexistes et sexuelles dans le canton de Neuchâtel peut être consulté et téléchargé sur le site asile.ch

3 Voir revue Vivre Ensemble, n° 185 et 191

4 Solidarité Femmes, RECIF, ADF, MMF, TEH, SAVI, Vivre Ensemble, Droit de Rester, Médecins du Monde, Centres de santé sexuelle, Collectif neuchâtelois pour la Grève féministe, plus le soutien du CSP et Caritas