Berne 8 mars 2018: Le collectif Appel d'elles, fort du soutien de plus 8000 citoyennes et citoyens et de 50 associations, dépose une pétition à la Chancellerie fédérale à Berne et demande un rendez-vous à la Conseillère fédérale Mme Simonetta Sommaruga en charge de la loi sur l'asile pour voir comment mieux protéger les réfugiées qui ont subi des viols et des violences dans leur pays d'origine et/ou sur la route de l'exil.
Intervention de Marianne Ebel, Marche mondiale des femmes, au nom du Collectif Appel d’elles
POURQUOI LE COLLECTIF APPEL D’ELLES VEUT-IL RENCONTRER LA CONSEILLÈRE FÉDÉRALE MME SIMONETTA SOMMURAGA ?
Nous ne sommes pas les premières à récolter et à publier des témoignages de femmes qui arrivent en Europe et en Suisse après avoir subi des violences extrêmes dans leur pays d’origine et sur les routes de leur exil. Nous ne sommes pas les seules à savoir que les agressions sexuelles sont la norme, et non l’exception. Nous ne sommes pas les premières à constater que des mères de famille, des femmes seules et des jeunes filles sont de plus en plus nombreuses à affronter les dangers de l’exil, alors qu’elles savent qu’elles ont très peu de chances de s’en sortir ; c’est dire la gravité de leurs souffrances.
Selon l’ONU, les femmes représentent 48% des migrants internationaux, et la majorité d’entre elles ont subi des agressions sexuelles, des viols, des mariages forcés ou ont été obligées de se prostituer pour payer les passeurs. Celles qui arrivent en Suisse seules ou avec des enfants sont les plus exposées aux agressions sexuelles, mais les épouses ne sont pas épargnées. Ces faits et leurs conséquences terribles sur la vie des femmes sont connus, pourtant les pouvoirs publics leur opposent doutes, méfiance, si ce n’est indifférence, et les médias n’en parlent pour ainsi dire jamais.
En Suisse, alors que la loi sur l’asile indique à l’article 3 alinéa 2 qu’ « Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes » et que le SEM s’est doté non seulement d’un Manuel, mais d’une section « genre », force est de constater que dans de très, très nombreux cas, les femmes ne peuvent rien dire des violences extrêmes qu’elles ont vécues, ni des blessures qui les meurtrissent. Faute d’être accueillies dans des conditions qui répondent à leurs besoins et qui prennent en compte leurs traumatismes, ces femmes entrent dans la procédure d’asile « normale » et une grande partie d’entre elles, se voient renvoyées, au nom des accords Dublin ou d’autres motifs, sans avoir obtenu d’entrée en matière sur leur demande d’asile, ni d’examen sérieux de leur détresse. Face à ces décisions violentes, ces femmes fortes -qui étaient prêtes à tout pour se donner -à elles et à leurs enfants- une chance de vivre une vie « normale »- tombent malades, psychiquement, physiquement, préférant parfois même mourir plutôt que d’être une nouvelle fois jetées sur un chemin parsemé de dangers, exposées au harcèlement, aux abus, à l’exploitation financière et sexuelle.
Le fait que les femmes en fuite, les personnes LGBT+, et les mineur-e-s sont exposées à des violences spécifiques sur la route de l’exil n’est plus à démontrer. Nous voulons que la Suisse en tienne compte. Et pas seulement sur le papier, mais dans les faits. C’est de cela que nous voulons parler avec la Conseillère fédérale en charge de la loi sur l’asile et de son application. Nous affirmons que les bases juridiques actuelles sont insuffisantes, et que celles qui existent sont mal prises en compte, mal appliquées. Tous les témoignages le montrent : la procédure d’asile ne répond pas aux besoins des femmes et des jeunes filles traumatisées par un viol et des violences extrêmes, du coup leurs droits les plus élémentaires sont bafoués.
Nous ne nous contenterons pas de déposer aujourd’hui des milliers de signatures à la Chancellerie fédérale. Notre campagne autour de l’Appel d’elles continue : nous nous battrons pour que les femmes et les enfants qui cherchent refuge en Suisse soient protégées et que leurs droits soient respectés.
Berne, le 8 mars 2018
Intervention de Louise Wehrli au nom du Collectif Appel d’Elles
Je parle aujourd’hui au nom des organisations de terrain à l’origine de cet appel. Plusieurs d’entre nous organisent des permanences de soutien où de nombreuses femmes, avec ou sans enfants, viennent nous voir. Elles se tournent souvent vers nous lorsque les démarches qu’elles ont entreprises auprès des tribunaux ou du SEM n’ont rien donné ou sont « vouées à l’échec ». Nous sommes souvent leur dernière bouée. Avec beaucoup de force et de courage, elles nous livrent petit à petit leurs souffrances et leurs parcours. Elle nous racontent les violences subies dans leur pays d’origine, la difficile décision de départ, le long voyage ponctué de nouvelles violences, l’arrivée tant attendue dans le pays d’accueil, puis, la terrible nouvelle d’un nouveau renvoi, vers leur pays d’origine ou vers un pays par lequel elles ont transité, au nom des accords de Dublin. Cette nouvelle tombe alors comme un couperet.
Il nous est très courant d’entendre de leur part des propos tels que : « je pensais qu'en arrivant ici, les problèmes seraient derrière moi » ou « comme si ce que j'avais vécu avant d'arriver en Suisse n'était pas suffisant. » Quoi de plus naturel que de penser ainsi ? Elles nous disent également préférer mourir plutôt que de subir un nouveau renvoi. Ces décisions de renvoi sont en effet vécues par ces femmes comme un nouveau traumatisme et un déracinement supplémentaire. Les traumatismes subis et les épreuves traversées ne sont pas reconnus par la Suisse. Ces femmes vivent dans leur chair la violence de nos lois qui les traitent comme de simples chiffons.
En Suisse, elles ont pu souffler, poser leurs valises, se faire des amis, inscrire leur enfant à l’école, y retrouver parfois des membres de leurs famille, découvrir une nouvelle langue, se reconstruire petit à petit et faire enfin des projets. Et il faudrait encore une fois qu’elles repartent ? C’est impensable pour elles et également pour nous. Les pays vers lesquels on veut les renvoyer sont synonymes de souffrances, de mauvais souvenirs, représentent une sources de menace et n’ont rien à voir avec le refuge dont elles auraient besoin. Nous ne voulons pas être des complices de ce système en leur faisant subir une triple peine, après celle du départ du pays d’origine et du voyage.
Face à la froideur et à la logique d’expulsion de l’administration fédérale, nous tentons de leur apporter de l’attention, de la bienveillance et de la solidarité. A la hauteur de nos connaissances et de nos moyens, nous les accompagnons aux nombreux rendez-vous avec l’administration cantonale afin qu’elles ne soient pas seules à les affronter, nous les soutenons dans leurs démarches juridiques, nous relayons leurs histoires auprès des politiques, des médias et des services de migration cantonaux, nous usons de la désobéissance civile et parfois, nous parvenons à éviter un renvoi. Mais à quel prix ? Le stress et les angoisses supplémentaires engendrées par ces menaces de renvoi ont créé des séquelles qui ne s’effaceront pas du jour au lendemain. Les souvenirs de l’humiliation vécue par la venue, à l’aube, de la police en grand nombre, violant ainsi leur intimité pour tenter d’exécuter un renvoi, resteront gravés. Et toutes celles pour qui le renvoi a été exécuté, qui se retrouvent au plus bas, exposées à tous les dangers et dont la Suisse n’a cure de savoir ce qui va leur advenir ?
Et c’est justement pour unir nos forces, briser ce silence, mettre en lumière ces situations dont nous sommes témoins, les rassembler afin qu’elles ne soient plus des anecdotes, que nous avons lancé l’Appel d’Elles. Nous nous faisons aujourd’hui leur porte-voix afin de transmettre plus loin et plus haut leurs histoires dans le but que la manière dont on les traite change radicalement et que leur parcours de violences puisse prendre fin en Suisse. Nous remercions infiniment les femmes qui ont accepté que l’on récolte leur témoignage par écrit et celles qui livrent le leur à haute voix aujourd’hui.