Marche mondiale des femmes

« Quelles sont les luttes et les revendications des employées de maison sans autorisation de séjour»

Le dimanche 24 mai 2015

Laetitia Carreras

Je tiens à remercier les organisatrices de la Marche mondiale des femmes, dont certaines ont fait partie du Collectif du 14 juin – nombreuses dans la salle – qui dès 2003 ont travaillé sur les questions de régularisation des travailleuses domestiques sans statut légal.

Présentation des intervenantes
Dorkas est une femme de ménage qui travaille ici, en Suisse, comme beaucoup d'autres, originaire d'Amérique du Sud. Elle est membre du réseau local de la campagne « Aucune employée de maison n'est illégale » (AEMNI). Elle souhaite d'emblée préciser que, bien que formées dans leur pays d'origine, les employées de maison travaillent dans ce secteur car elles n'ont pas d'autorisation de séjour.

Silvia est une ancienne employée de maison. Elle est une des personnes fondatrices du Collectif des Travailleuses et des Travailleurs Sans Statut Légal (CTSSL), membre de l'association Bolivia 9 et de la campagne "Aucune employée de maison n'est illégale" (AEMNI).

Laetitia : féministe, notamment active dans le groupe de travail Solidarité avec les femmes sans statut légal (Collectif du 14 juin) et dans la campagne « Aucune employée de maison n'est illégale » (AEMNI). Professionnellement, je travaille avec des familles et des femmes sans autorisation de séjour : quelques connaissances pratiques sur les droits sociaux et les impasses législatives dans lesquelles nous nous trouvons.

Je commencerai par l'importance du travail domestique, ce serpent de mer qui ne cesse de revenir : les femmes y sont assignées, qu'il soit ou non externalisé.

Mais que veut dire « travail domestique » ?
Encore aujourd’hui le travail domestique, appelé également travail reproductif ou care dans les foyers privés, continue d'être effectué majoritairement par les femmes. Par travail domestique, nous entendons la prise en charge d’enfants, de personnes malades, âgées et / ou dépendantes, ainsi que « le ménage ».

Le travail domestique continue à ne pas être reconnu à sa juste valeur. Quand il est externalisé, majoritairement auprès de femmes migrantes, souvent sans autorisation de séjour, les conditions dans lesquelles s’effectue ce travail – indispensable et essentiel – sont problématiques.

Dans le secteur de l’économie domestique, les besoins sont en constante augmentation.
Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs :

  • un nombre important de familles monoparentales, de personnes isolées, de personnes âgées et/ou dépendantes ont créé de nouveaux besoins qui ne sont pas comblés par les services publics.
  • Le nombre de place en EMS (Etablissements médicaux-sociaux) ne répond pas à ses besoins et les services d'aide et de soins à domicile ne couvrent pas la totalité des besoins de ces personnes. A cela s'ajoute, un nombre de place dans les institutions de la petite enfance ou famille d'accueil dramatiquement lacunaire, qui ne couvre pas les besoins des familles ayant des enfants en âge prés-scolaire.
  • une persistante répartition asymétrique du travail domestique entre femmes et hommes, est l’une des conséquences de la division sexuelle du travail ;
  • Enfin à l'heure actuelle, l'organisation entre les temps professionnel, familial et personnel est ardue pour nombres de familles et de personnes. De plus, le développement de la flexibilité et des formes de travail précaire et atypique, qui touche tout particulièrement les femmes salariées, est patent.

Actuellement, elles sont plus de 40'000 femmes sans statut légal en Suisse à pallier, par leur travail, à cette situation et à cette pénurie d’infrastructures collectives. Sur le canton de Genève, leur nombre est estimé à environ 6'000 à 8'000 femmes. Ce secteur est le plus gros pourvoyeur de travail pour les femmes sans statut légal dans les cantons urbains.

Le travail domestique effectué dans les foyers privés est révélateur de différentes divisions qui traversent notre société : division sexuelle, sociale et internationale du travail. En effet, l’entrecroisement de diverses appartenances – de sexe, de classe, nationale ou encore « ethnique » – assigne des groupes de personnes à certains travaux, bien spécifiques. C’est le cas pour le travail domestique externalisé. Ces divisions sont renforcées par certaines lois migratoires en vigueur, telles que de la Loi sur les étrangers (LEtr), qui fabriquent de toute pièce des personnes sans statut légal à moyen et à long terme.

Une réelle reconnaissance de la valeur et de l'utilité de ce travail, indispensable au fonctionnement de la société, est essentielle. Ce sont les conditions dans lesquelles il s'exerce qui doivent être améliorées.

Le travail dans ce secteur d'activité possède des dimensions particulières : pluralité des lieux et des modalités de travail, comme des personnes employeuses (de quelques heures de ménage à une prise en charge à plein temps d'un-e enfant ou d'une personne âgée/dépendante); huit clos entre l'employée et la personne employeuse / absence de collectif de travail ; isolement sur le lieu de travail ; dans certains cas, logement chez la personne employeuse.

L'absence de statut renforce ces conditions de travail difficiles, en favorisant l'exploitation et la discrimination : salaire indécent, absence de couverture sociale et d'accès aux soins, chantage à la dénonciation, violence, risques accrus de harcèlement sexuel et viol, logement dans la promiscuité, difficulté de faire valoir ses droits devant les tribunaux, insécurité permanente liée à la peur d'être expulsée.

Des pas importants ont été franchises ces dernières années. En effet, depuis 2011, un contrat-type de travail (CTT) garantit pour la première fois un minimum salarial au niveau national. Sur Genève, un CTT existe depuis 2004. Au niveau international, la convention 189 de l'Organisation Internationale du Travail, acceptée en juin 2011, un travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, pose les conditions cadres de ce travail et stipule les droits des employées de maison. La Suisse l'a ratifiée en 2014 et la convention entrera en vigueur en novembre 2015.

En 2013, la campagne « Aucune employée de maison n'est illégale » est lancée au niveau nationale. L'attitude de la société, qui accepte et profite d'avoir recours à une main d'oeuvre sans statut légal pour effectuer ces tâches ménagères et de soins, tout en refusant d'accorder à ces travailleuses un statut légal et digne, relève de la plus grande hypocrisie.

Aujourd‘hui, ces femmes migrantes travaillent et vivent dans une grande précarité et font souvent l‘objet d‘abus, alors que leur travail est fondamental pour le fonctionnement de notre société. Pour que cette situation cesse, les signataires demandent donc au Conseil fédéral une amélioration des conditions de vie et de travail de ces employées :

La campagne « aucune employée de maison » revendique :

  • Des autorisations de séjour pour les travailleurs/-ses sans statut légal, particulièrement celles et ceux travaillant dans le secteur de l‘économie domestique.

Il ne s'agit en aucun cas de hiérarchiser des catégories de travailleuses / travailleurs sans statut légal, mais de rendre visible le plus important secteur d'activités dans les cantons urbains et qui, de par ses caractéristiques, tend à demeurer dans l'ombre (cf. www.sans-papiers.ch / campagnes et projets / employées domestiques).

  • Un accès garanti et sans risque d’expulsion à la protection sociale pour les employées de maison sans autorisation de séjour.
  • Un accès au Tribunal des prud’hommes (tribunaux du travail) sans risque d’expulsion pour les employées de maison sans autorisation de séjour.

Nous avons la pétition à la Chancellerie fédérale le 5 mars 2014 avec près de 20'000 signatures. Tout au long de la campagne, dans différents cantons ont eu lieu des actions (théâtre de rue, lecture publique, conférence, événements, conférences de presse). Ainsi, un important travail de sensibilisation a été fait. Parallèlement, un travail de lobby a été mené auprès des parlementaires et des rencontres ont eu lieu avec le Secrétariat d’État aux Migrations (SEM).

Concernant les revendications, comment en construire quelques unes réalisables? Si la régularisation demeure fondamentale – quels sont les petits et grands pas qui pourraient être faits?

Par exemple, une des démarches en cours, au niveau cantonal, est la non transmission des données en cas de dépôt de plainte, pour les femmes sans statut légal victimes de violences sexuelles, conjugales ou familiales.

Je vous remercie de votre attention.